Un voyage en RFA (mai 2010)

Publié le par Alexandre Neodvisni

Un voyage en RFA (mai 2010)

Un voyage en RFA

Nous sommes en 2010. Un beau matin de printemps, j’embarque un ami pour une virée de 10 jours en Allemagne. J’habite alors Nancy, et lui est venu spécialement me rejoindre du Sud-Ouest.

Après quelques préparatifs, la voiture est prête, et nous voilà parti en direction de cette chère frontière… Nous passons au-dessus d'un grand fleuve (« Le Rhin ! »). Et dans la foulée, un panneau nous fait plus d'effet que la plus belle déclaration d'amour. Il annonce : « Bundesrepublik Deutschland ». Un double cri de joie se fait entendre à la vue des premiers mots en allemand que nous lisons depuis le début du voyage. Nous avons la sensation de ne plus appartenir à la France. Nous tournons le dos à notre chère patrie, ce ne sera pas très long, et qu'elle nous en veuille, on s'en remettra ! Nous restons nous-même, Alex et Xav, deux jeunes hommes curieux d'un pays voisin, et décidés de s'en emparer pour deux poignées de jours. Mais nous sommes transportés dans une autre dimension. Sitôt la frontière passée, le travail est loin, les amis, la famille sont ailleurs, les soucis aussi. Dorénavant, une seule chose importe : profiter pleinement de ce pays, du temps que nous passerons ensemble, des sites que nous allons découvrir, et du sentiment unique qu'éprouvent ceux qui sont sur la route. Ça se nomme la liberté, je crois. Et même si nous n'en goûtons qu'un bout, nous saurons l'apprécier...

Nous ne tardons pas à atteindre Fribourg, à la lisière de la Forêt Noire. Déjà, plusieurs mois avant le départ, en voyant la carte de l’Europe accrochée dans ma chambre, je rêvassais en suivant la trajectoire d’un certain fleuve, le Danube, qui prend sa source dans cette région, pour se jeter 2850 km plus loin, dans la mer Noire…

Autant y aller franco : Fribourg nous occupera tout juste une heure. Nous ne trouvons pas la ville exceptionnelle, le centre historique est restreint, et nous sommes encore bien prêt de la frontière (Ah, cette frontière dont on sera davantage ravi au fur et à mesure qu’on s’y éloignera). D’un commun accord, on quitte la cité pour traverser le Sud, et atteindre le lac de Constance avant la nuit.

A vrai dire, du Donau, nous ne verrons pas grand-chose d’autre que le panneau lorsqu’on l’enjambera, et la Forêt Noire me réserve encore aujourd’hui tous ses mystères. Mais s’attarder quelque part revenait à supprimer une étape, et nous étions avides de connaître les contrées situées aux différents points cardinaux…

Sur la route, nous faisons une halte rapide à Engen, essentiellement pour détendre nos jambes. Ce petit bourg simple et sans fioriture nous donnera l’occasion de nous exercer pour la première fois de notre voyage avec la langue allemande. Nous rentrons dans un troquet pour commander un café :

Alex - « Guten tag ! Ich neime ein kafé »

Xav – « Ein kafé » (nous ne sommes pas encore capables de dire « deux », si l’on veut avoir une idée de notre niveau…)

La patronne devine aisément que nous sommes étrangers. Elle demande notre origine.

« Franzose » nous répondons en cœur

« Ah, Français ! Mais ce n’est pas un problème ! » (avec un fort accent guttural comme on peut l’imaginer)

Elle nous demande ensuite si l’on compte passer la nuit ici. Ce n’est pas la dernière personne qui cherchera à savoir si l’on souhaite prolonger notre passage dans sa ville.

Je parle lentement, en articulant pour m’assurer d’être bien compris :

« Non, nous devons partir assez tôt pour arriver au lac de Constance ce soir »

Après un « Auf Wiedersehen » de rigueur, nous quittons le bar, puis la ville. Notre premier coup de cœur n’est plus bien loin…

- Konstanz

Le Lac : première merveille, où l’on se posera en quatre lieux : Meersburg, Constance, Wasserburg, et Lindau. Nous sommes face à la Suisse, pas loin des Alpes, et à sa pointe, nous frôleront l’Autriche. Voilà pour le décor. A Meersburg, nous longeons le lac à pied (qui nous apparaît comme une mer) et arrivés à la sortie de la ville (toujours à pied), nous nous trouvons face à un Ferry. Celui-ci propose des traversées jusqu’à Constance pour une somme assez modique (4€50 l’aller/retour). J’hésite, mon ami est vraiment motivé pour embarquer. J’objecte qu’on perdra du temps, qu’il est peut-être trop tard, et qu’on ne sait pas quand le bateau repartira ensuite vers sa position initiale. Mais lorsque je vois un employé, je l’accoste et lui demande les renseignements nécessaires. Un départ, et un retour toutes les heures. Et le Ferry va justement partir dans les minutes à venir. On se décide, et on embarque.

Il est déjà tard lorsque nous atteindrons les faubourgs de Constance. Le centre est à une bonne heure de marche du port. On marche dans la pénombre, en longeant le lac, guidé par les lumières de la ville. Nous croisons des pêcheurs peu loquaces, des étudiants en vélo filant vers quelques festivités. Une mystérieuse procession aussi : des enfants portant des bougies, déambulant autours d’une église. Xav est motivé pour continuer à marcher jusqu’à Konstanz, mais j’en ai rapidement assez. La ville est toujours loin, on n’a pas l’air de s’en rapprocher – effectivement : en longeant le lac, nous avons pris l’itinéraire le plus long, car nous suivons ses méandres, et l’on perd ainsi une bonne demi-heure. Pragmatique, je pense au retour, à la route que l’on devra faire à pied après notre excursion nocturne, au Ferry qu’il faudra attendre, et au chemin qu’il nous restera à faire ensuite jusqu’à notre hôtel – ou plus précisément, notre voiture. L’ami insiste, il tient à fouler cette cité au nom charmeur.

Nous y sommes. Rien de grandiose, mais la fatigue, et l’obscurité ne jouait pas en la faveur de la ville. Je ne retiendrai que le bar où nous prenons un verre, où Xav croyant prendre une bonne bière typique allemande… Se retrouva en réalité avec un panaché entre ses mains !

Maintenant, plus question de s'attarder. Et pour rejoindre le Ferry, nous « couperons » par la route. Il est bientôt minuit, et le Ferry ne nous attendra pas. On se presse, Xav propose qu'on tente le stop. Un coupé sport s'arrête. Des suisses. Le type se moque de nous, sort la tête et lève le pousse en débitant quelques mots en anglais, du genre « Yes ! Ok Man ! », puis la voiture repart en vrombissant. Dans cette galère, où nous risquons d'attendre une heure durant le prochain Ferry, dans la fraîcheur printanière en bordure du lac, on se sent humilié. On se remet à marcher, complètement dépités. Mais nous y sommes presque. Et le Ferry n'est même pas là.

On retrouve les deux Suisses, qui partaient tout comme nous vers le port pour la traverser du lac ! Xav est énervé, il a envie de s'expliquer avec eux. Mon attitude est plus posée. Je le calme un peu, en lui disant que ce ne sont que des imbéciles, des gamins de richards, qui n'ont jamais connu la vraie vie (autrement dit, celle que nous menons).

Le Ferry arrive. On les croisera à l'intérieur, et on se contentera de les regarder en chiens de faïence. Je pense qu'ils avaient beau faire les malins, ces deux-là, ils n'étaient pas vraiment tranquilles. Xav et moi avons un point commun : nous avons le don d'exprimer notre mécontentement, notre colère sans proférer la moindre parole.

Enfin, s'il m'était donné la possibilité de revivre cette traversée nocturne sur les flots, au tout début de notre voyage, en totale liberté, sachant que l'Allemagne, rien moins que cela nous appartenait pour une durée déterminée... Je la revivrai, cent fois même, quitte à revoir ces deux abrutis !

Après la nuit dans la voiture entre Meersburg et Wasserburg, j'ai envie d'un coin sympa pour prendre le petit-déjeuner. Une table et des chaises sur une aire de repos feraient l'affaire. Mais c'est trop demander : jusqu'à la prochaine étape, nous ne trouvons rien de tel. Une fois arrivé à Wassserburg, nous en sommes réduits à prendre le repas matinal à même le sol, sur une place de parking au pied de la Citroën. On sort le réchaud, les victuailles, le café, on installe le tout tranquillement, comme si de rien n'était. Un vieux couple d'allemands sort d'une supérette en face, ils se rendent à leur voiture garée devant nous. Mais ils ne sont pas offusqués de voir ces deux jeunes s'approprier le parking et le transformer en aire de pic-nic. Ils nous sourient aimablement, et nous lancent un franc « Guten Tag ! » par la même occasion.

Dans cette situation cocasse réside une bonne part de notre appréciation du pays : on a trouvé ce peuple moins coincé que les français, plus ouvert face à certaines originalités...

On entreprend la visite de Wasserburg sous un ciel assez maussade. D’ailleurs, le mauvais temps sera de la partie durant une grande partie de notre voyage ; ce n’est qu’en arrivant sur les côtes de la mer Baltique qu’on s’en débarrassera. Xav, ayant passé sa jeunesse dans le Lot-et-Garonne et travaillant sur Toulouse, aura beaucoup de mal à s’y faire. En ce qui me concerne, après trois années en Lorraine, la grisaille et le froid ne me font pas bien peur, même en vacance.

Le guide du routard nous promettait un village sensationnel – nous sommes relativement déçu. Le site est agréable, sans être charmant. Il reste encore à plonger notre regard dans l’étendue bleutée du Lac aux trois patries, ce lac valant évidemment notre détour jusqu’à la frontière Suisse. En repartant vers l’auto, j’attarde mon regard sur quelques maisons sur pilotis, en échangeant quelques mots avec mon ami. Nos conversations seront un des points majeurs de ce voyage. Tout au long de ces dix jours, nous avons beaucoup parlé, de nos amis respectifs, du pays que nous visitions, nous avons fait part de nos considérations existentialistes. Nous avons beaucoup, beaucoup ris aussi, avec les jeux de mots stupides basés sur la construction de phrases en français avec des mots allemands (« Bite fait, bien fait », « tu schloss du combien ? », etc…). On s’est un peu disputé, vers la fin, la fatigue aidant, ainsi que la conscience de devoir retourner bientôt à la vie normale. Mais ensemble, nous ne nous sommes jamais ennuyés. L’harmonie amicale, tellement précieuse quand on voyage dans ces conditions, et dont l’absence est redoutable et peut mener à de méchantes brouilles (je connais un gars qui s’est fâché définitivement avec un de ses meilleurs amis au cours d’un voyage qu’ils avaient fait à deux).

Lindau. Premier joyau que nous découvrons depuis que nous avons franchi la frontière. La vieille ville (inscrite à l’Unesco) est sur une île, à laquelle nous accédons à pied par un pont. Le parfait village de pêcheur, un soin méticuleux a été porté à la conservation des innombrables bâtisses d’antan. Nous éprouvons une indescriptible quiétude à cheminer par ces rues calmes fleurant bon l’air marin (je le répète : lorsque je repense à ce Lac, c’est une Mer qui me vient en tête). Le port, orné d’un phare et d’un lion colossal protégeant son entrée de tout envahisseur, est une véritable œuvre d’art.

Avec le modeste (pour ne pas dire médiocre) appareil photo intégré à mon téléphone, je prends une quantité de clichés de ce lieux magique. Je photographie à nouveau le Lac, car nous pouvons apercevoir en face la terre et les montagnes autrichiennes.

J’achète une carte postale (j’ai droit au passage - comme à chaque fois que je me retrouverai devant un commerçant - à un petit cours d’allemand : j’apprends que timbre se dit Briefmarke et non pas Stempel). Il est temps maintenant de se rendre au plus célèbre des monuments allemands (avec peut-être la Brandenbourger Tor) : le Shloss Neuchwanstein, ou Château de Louis II de Bavière.

Sur la route, nous frôlons à plusieurs reprises le territoire autrichien. Nous aurions bien aimé y mettre les pieds, juste pour le plaisir et la curiosité. Mais on nous attend en fin d’après-midi à Munich et il ne reste plus qu’à filer sous l’averse.

Ce sera l’étape la plus désagréable, au point de vue climatique.

- Un château « wagnérien »

Déjà, première mauvaise surprise : le parking est payant. Nous sommes en pleine campagne, cela présage une flopée de touristes. Il nous arrivera qu’une seule autre fois de payer le stationnement, ce sera pour le premier jour que nous passerons à Berlin, dans le centre historique…

A l’entrée du village de Hohenschwangau, on nous guide vers une place libre. Pas de toilettes gratuites dans les environs, il faudra sortir le porte-monnaie à la moindre occasion. Mais il fallait s’y attendre : ce château du 19ème est connu de par le monde entier, les deux ouvrages que j’ai consultés avant de partir l’avaient en couverture. C’est un peu l’équivalent de notre Tour Eiffel. Si l’on visite l’Allemagne, Il Faut l’avoir vu. Je lève la tête, à une dizaine de mètres de la voiture, il est là, haut perché sur une falaise, à une bonne heure de marche. Je l’indique à Xav.

« Regardes par-là »

« Oh… Impressionnant »

La brume et la pluie épaisse le couvrent en partie, il n’en est que plus étonnant. On le croirait réellement sorti d’un conte. C’est là où nous sommes que nous en aurons la meilleure vue. Une fois en haut – nous ne visiterons pas l’intérieur – nous serons trop près pour apprécier autant cette œuvre baroque.

Nous prenons le sentier en direction du château, la pluie tombe à verse, nous sommes rapidement trempés. Avant de fermer la voiture, j’avais eu l’idée de prendre un sachet de biscuits aux chocolats pour nous donner des forces durant le trajet. On y pioche régulièrement pour faire face à la montée en condition « sportive ». D’ailleurs, Xav m’avait dit un peu plus tôt que d’après certaines études, un baiser équivalait au niveau hormonal à un carré de chocolat. Alors ces petites douceurs cacaotées ne peuvent que nous donner du baume au cœur…

Le site est grandiose, avec la forêt à perte de vue plus bas, et le rugissement d’une cascade derrière. On se contente de faire le tour du château. L’entrée n’est pas donnée (vers les 15 €), et la file d’attente est terrible. Xav aimerait visiter le monument, je m’y oppose pour ces raisons. Et je ne me sens pas vraiment à l’aise, j’ai l’impression d’être dans un parc d’attraction, avec tous ces japonais autours de moi et leur appareil photo en bandoulière.

Je considère que c’est notre détour le plus décevant, le plus artificiel. Nous ne sommes pas dans un village, mais dans un conglomérat de boutiques touristiques. Enfin, je me disais qu’on ne pouvait rater cette étape, ne serait-ce que pour pouvoir dire ensuite « j’y étais, le l’ai vu » (et je ne me suis pas gêné au retour pour le faire).

La Citroën redémarre, il reste environ 100 kilomètres pour atteindre Munich. C’est Xav qui prend le volant. A ce sujet, on se relaiera durant tout le voyage, en raison d’un jour de conduite chacun (en général). Xav me reprochera ma prudence excessive et ma lenteur ; c’est l’inverse que je lui reprocherai. Vers la fin, nos deux modes de conduite se rejoindront : il fera un peu plus attention à la vitesse, et je serai moins « stressé » en conduisant (petite précision : n’ayant pas de voiture depuis des années, ce n’était pas vraiment aisé pour moi de rouler sur des centaines de kilomètres, qui plus est dans un pays étranger, même s’il m’arrivait d’emprunter des voitures de temps à autre en France).

Le GPS nous guide sans trop d’accrocs. Nous atteignons le quartier de l’étudiant qui doit nous héberger pour la fin du week-end. Et je remets les pieds pour la seconde fois de ma vie dans la capitale bavaroise.

- München

D’entrée de jeu, nous sommes bien accueillis. Denis prépare le repas, quelques spécialités bavaroises. Il n’est pas tout seul : Je salut une française (d’origine asiatique) qui nous apprendra qu’elle vit au Liechtenstein. Et il y a deux hongrois, Orsolya et Gabor. Quand nous redescendons récupérer nos sacs, Xav me confie sa gêne :

« Je suis pas à l’aise, tu te débrouilles super bien en anglais, moi j’ai vraiment du mal »

« Mais non, ça ira, et il y a bien la Française avec laquelle tu pourras discuter… »

Xav parla un bon bout de la soirée avec cette dénommée Sophie, Denis et Gabor discutèrent beaucoup ensemble. Et la première des quatre entrevues avec Orsi me permis d’apprendre que nous avions beaucoup de choses en commun (en l’occurrence, l’amour des voyages et des pays de l’Est).

Il n’y a pas de chaise, nous sommes tous assis en tailleur autours de la table basse. Le vin (français, et hongrois) coule abondamment. Cette soirée inattendue est placée sous le signe de la bonne humeur, la jovialité. Plusieurs langues se font entendre, du français (parlé aussi par Denis) à l’anglais (parler par toute la petite communauté) en passant par le hongrois (les deux amis Gabor et Orsi étaient les seuls à le parler) et l’allemand (juste pour l’exercice, car Denis était le seul à maîtriser sa langue). A tour de rôle nous passons devant l’ordinateur pour faire écouter aux autres des chansons de notre goût. Le mien ne sera pas des plus fins : je me régale avec la musique pop française des années 80, et j’essaie d’expliquer assez laborieusement le sens des paroles de « Tes états d’âmes Eric ». Les gens ne comprennent pas très bien, mais tout le monde rigole. C’est tout ce qui compte. Gabor remonte le niveau musical en sélectionnant les tubes de Rammstein. Je suis aux anges : écouter l’un de mes groupes préférés dans le pays en question ! Malgré la fatigue, les accords de Sonne, la mélodie de Ohne Dich me donnent de l’entrain.

Orsi me dit qu’elle est étudiante à Berlin, et qu’elle remonte à la capitale en début de semaine. Justement, nous nous y rendons le mercredi ! Cela me donnera l’occasion de la revoir. On en parle, cela lui semble faisable. Alors nous échangeons adresse mail et numéro de téléphone.

La soirée se déroule tranquillement, et elle prend fin au départ des deux Hongrois.

Denis aménage le studio pour que nous soyons à notre aise durant la nuit à venir. Xav et moi avons droit au lit à deux places. Quant à Denis et Sophie, ils dormiront chacun sur un matelas à même le sol. Le lendemain (nous resterons même une nuit supplémentaire à Munich), nous raccompagnons Sophie à la gare. Nous sommes alors en centre-ville, et Denis nous fait ensuite monter dans une tour en haut de laquelle nous profitons d’une belle vue sur les toits de la vieille ville. La fin de l’après-midi pointe lorsqu’on retrouve Gabor et Orsi. On fait un tour ensemble par le Musée des Sciences de Munich.

Puis Denis nous entraîne tous les quatre dans un restaurant qu’il affectionne. A l’heure où j’y mets les pieds, je suis à la fois fatigué, et heureux : toutes les conditions sont requise pour que je fasse le pitre… D’abord, j’écris sur un papier des mots à l’attention de la clientèle (« Bonjour à tous ! ») et de la serveuse (« Vous êtes très jolie ! »)… Je plie le papier de façon à ce qui soit bien en apparence au milieu de notre table. Ensuite, alors que Denis, Xav et moi nous sortons temporairement pour retirer (aucun commerce ne prends les cartes bleu dans ce pays, à mon grand étonnement), je remarque un verre de bière posé dans la rue, portant le sceau de la brasserie munichoise. Je pars le récupérer pour l’offrir à Xav en souvenir. Une fois mon trophée entre les mains, je parodie un quelconque gangster détenant le fruit de son tout dernier hold-up : devant mes deux compères, je fais mine de regarder dans toutes les directions, l’air inquiet, méfiant. J’avance à grand pas lents, en chuchotant et en mettant l’index devant la bouche pour leurs signaler qu’il n’est point question de se faire remarquer… A nouveau installer autours de la table, je continue à amuser la galerie, de mes jeux de mots enfantins et de mes mimiques clownesques. Gabor a l’air dépité, il me regarde avec une certaine condescendance.

A la fin du repas, alors que tout le monde était sorti, voyant la « jolie » serveuse les yeux rivés sur le bout de papier que j’avais laissé sur la table, je viens à sa rescousse et entreprend la traduction en anglais des expressions alignées une heure plus tôt. Lorsque vient la phrase fatidique, je me permets même de rajouter un « that’s right ! », et la fille me remercie… Je rejoins alors mes camarades, et leur explique la raison de mon retard. Denis, qui avait refusé catégoriquement de me donner l’équivalent de « vous êtes jolie » en allemand de peur que je sorte ça à la serveuse, est blasé en apprenant que je suis parvenu à mes fins par un autre moyen.

C’est maintenant l’heure des adieux (pour Gabor) et de l’au-revoir (pour Orsi). Nous faisons le chemin avec eux jusqu’à leur bus.

- En route vers le Nord.

Denis nous offre obligeamment le gîte une seconde nuit. C’est vraiment un bon gars, toujours serviable et chaleureux. Il se comporte avec nous comme un ami, alors que nous ne le connaissions pas il y a encore deux jours.

A huit heure pétante, on «strass » (pour rester fidèles à nos jeux de mots médiocres) en direction de Nuremberg.

La ville, ancienne cité médiévale, nous enchante. Nous y restons juste l'après-midi, mais nous prenons le temps de visiter la citadelle. Nuremberg est objectivement l'un des plus beaux sites que nous ayons visité, il est dommage que l'on ne s'y soit pas attardé. Peut-être avons-nous voulu voir trop de choses, faire trop de kilomètres... Visiter un pays en accéléré laisse nécessairement quelques regrets, nous goûtons juste aux charmes d'un lieu, et nous lui disons adieux. Au moins a-t-on conscience du temps qui passe, au moins nous mettons tout en œuvre durant le temps imparti – et toute notre énergie - pour profiter de chaque instant.

A moins d'une heure se trouve Bamberg ; nous y vaquerons la soirée. Cette ville de taille moyenne regorge de beaux monuments, le centre historique vaut largement le détour (c’est d’ailleurs une des rares villes allemandes à ne pas avoir été bombardée par les Alliés au tournant de la seconde guerre mondiale). Nous y pénétrons par un pont au bout duquel se dresse une large porte. Peut-être plus que partout ailleurs, ce lieu est à connotation religieuse. Dans les hauteurs, les églises catholique et protestante se font face. Plus bas, un grand couvent nous ouvre ses portes. Nous rejoignons la rivière en suivant un chemin pédestre. Nous rentrons dans un bâtiment abandonné, on descend les escaliers, et en ouvrant la porte on se retrouve face la route. C'est étrange, on a l'impression d'être deux citoyens allemands qui sortent tranquillement de chez eux. D'ailleurs, je demande à Xav d'attendre sur le trottoir, je remonte à toute vitesse, et je le salut de la fenêtre au moment où une femme passe à proximité. Xav pousse un grand éclat de rire en voyant son ami lui parler depuis son « nouvel » appartement. Nous continuons. Nous longeons maintenant la rivière. Un panneau informatif nous laisse interrogateurs : nous y voyons des chevaux dessinés, situés sur la berge, et attachés à des bateaux. Un vieil homme en vélo s'arrête à ce moment-là, et nous explique en anglais le sens de cette gravure : dans le passé ces bêtes étaient utilisés pour tirer les embarcations depuis le sol. Très affable, il nous demande combien de temps nous prévoyons de rester ici, et nous incite à nous rendre à l'Office de Tourisme de la ville, pour emprunter une clé qui nous permettra de visiter une ancienne tour de la ville. Mais il est trop tard, l'office est fermé à l'heure qu'il est (on s'approche des 20h), et ne nous reste plus qu'à retourner dans le centre, et prendre un bon café avant de continuer la route. On s'assoit en terrasse, près de deux jeunes femmes qui nous remarquent (et surtout remarquent notre français), mais on s'ignore gentiment...

La ville a beau être de taille modeste, on se perd un peu en revenant à la voiture. Je demande le chemin à un groupe d'étudiants. Nous éveillons leur curiosité ; durant quelques minutes, après les présentations, ils nous parlent abondamment, voulant savoir où nous nous rendons, et nous demandant si l'on aime leur ville, leur pays. Nous prenons l'habitude de ce genre de réaction : les allemands sont souvent surpris de voir deux français faisant le tour de leur pays. Et nous imaginer vivant au jour le jour, bourlinguant au grès des länder, dans le simple but d'apprivoiser un peu les mystères de leur contrée les laisse un peu rêveurs.

Après un modeste repas, fait de tartine de terrine et de fromage sur un banc, nous nous engageons vers la plus longue étape que nous ayons faîte jusqu'à présent : près de 400 km nous sépare de Potsdam.

- Arrivée à Potsdam

La première nuit dans le Nord, comme bien d'autres qui suivront, sera bohème : à 20 km de Potsdam, on s'arrête sur une station d'autoroute. Il est tard, minuit passé, et l'endroit nous convient, sachant qu'au lever nous aurons une cafétéria à quelques mètres pour le petit-déjeuner.

Ah... je n'oublierais pas de sitôt le visage déconfit de Xav au réveil, ouvrant péniblement les yeux, et regardant à travers la vitre le temps gris, pluvieux au dehors.

« Mais c'est quoi ce temps de merde ! »

J'adopte plutôt une attitude détendue :

« Ah, mais un pays, faut l'aimer comme il l'est ! Et le temps c'est qu'un détail, ça nous empêchera pas de profiter de la journée »

On sort. Diable, ce vent glacial, foudroyant nos membres encore engourdis !

On se réfugie à la cafétéria. L'endroit, avec sa fontaine, son étalage de luxe bourgeois, ses pâtisseries raffinées dont la taille est inversement proportionnelle au prix, nous plait guère. On prendra juste un café, et l'on se contentera de notre propre garnison de gâteaux secs et de viennoiseries industrielle, avant de faire les derniers kilomètres vers la prochaine étape.

Potsdam n'a d'intérêt majeur que son parc, le célèbre Sanssouci. Immense, avec son château, son incroyable collection de plantes, ses allées boisées labyrinthiques, ses innombrables statues. On ne se lasse pas, la matinée durant, de le parcourir, se demandant si l'on parviendra à en faire le tour avant de devoir rejoindre la Citroën.

Mais Berlin est à deux pas, dans cette course sans fin... Si courte pourtant !

- Berlin : étape Capitale

Berlin... L'apogée de ce voyage, le cœur de cette odyssée minuscule. Berlin, la nuit blanche, le gigantisme d'une cité sans limite. Certainement la moins jolie de toutes, mais la plus inclassable, mystérieuse, fascinante.

On arrive directement à l'Auberge. Deux journées, et deux nuits sont prévu pour profiter un minimum de la Capitale. Mais il ne reste de la place que pour une nuit au Heart of Gold Hostel, dans le Berlin-Est (où est concentré le centre historique, et de loin la partie la plus intéressante). Pour la nuit manquante, point d'inquiétude : nous envisageons de faire une nuit blanche dans un quartier « underground » de Berlin, donc le problème est réglé de lui-même.

La première journée sera on ne peut plus simple et sans réel changement dans le rythme et la routine qui s'est installé (et qui est loin d'être désagréable) au sein de notre duo : on visite, on s'arrête dans un pub prendre un café, une visite de la Cathédrale nous donne la possibilité d'avoir une vue panoramique sur l'ensemble de la ville. Depuis le Dôme, on a un résumé de l'architecture de la ville : des vieux monuments, plus ou moins rénové, sont accolé à des buildings ou des no-mans-land. Le tout forme un patchwork qui n'est pas du meilleur goût, mais qui donne à sa ville un air assurément atypique (j'avais vu le même genre assortiment à Bruxelles, l'année précédente, sans y connaître la force d'attraction de son homologue germanique).

Une connaissance à Nancy, férue de l'Allemagne, m'avait dit que le maire de Berlin parlait de sa ville en ces termes : « elle n'est pas belle, mais sexy ». C'est à peu-prêt mon ressenti ; aucune ville je crois, en dehors de Tirana en Albanie n'a eu un si fort impact sur moi (mais pas pour les même raisons).

Une autre Nancéienne, y ayant séjourné, compléta mes propos en disant qu'on s'y sent étonnamment libre, car il y a peu de concentration de monde du fait de son extension (moins d'habitant qu'à Paris, pourtant Berlin est bien plus étendu).

Le lendemain, nous arrivons mon acolyte et moi sur l’AlexanderPlatz où nous attend Orsi (je lui avais envoyé un message pour la prévenir de notre arrivée en ville). On passera l'aprem et la soirée tous les trois. Elle nous emmène dans un quartier où le Mur est toujours debout, bariolé de graffitis. Puis, elle nous entraîne dans le quartier underground, pauvre, sale, grisâtre, fait de bric et brocs comme Xav en rêvais.

Deux amis à Orsi nous rejoignent dans un bar. Il repartent en fin de soirée, et Orsi me dit qu'elle ne va pas tarder à faire de même, car elle a cours le lendemain.

Il est vers les 1 heure. Et ce n'est qu'à 8 heures que je rejoindrai la voiture, garée à Berlin-Ouest dans un quartier résidentiel. Pour le moment, et à nouveau seuls dans la ville tentaculaire, on s'offre une mémorable tournée des bars allemands, consommant sans excès et consumant nos cigares. On parle beaucoup, mais Dieu seul sait les sujets de conversations de cette nuit-là. Alors que le soleil se lève lentement, nous marchons tranquillement vers le métro. Petite illustration de l'immensité de la ville : nous sommes à 15 Km du Shlossgarten Charlottenburg, pas loin duquel la voiture est garée. Mais Xav décide de faire un dernier bar, encore ouvert. Il sympathise avec la serveuse, une femme typée Turque. La fatigue commence à m'écraser, vraiment, et je m’ennuie. Je m’assieds dans un fauteuil confortable et compte sommeiller le temps de reprendre notre chemin. Mais l'autre serveuse me surprends en train de fermer les paupières, et me réveille brusquement pour me signaler que je n'ai pas droit de dormir ici.

Alors, à bout de force, je me lève, indique à mon pote mes intentions de rentrer immédiatement à la caisse, en lui disant qu'il n'a qu'à me réveiller en arrivant pour que je lui ouvre.

Les deux heures qui suivront ne seront pas fameuse. Je prends le bon métro, dans le bon sens, je m'arrête au bon endroit... Mais continuant à pied, je ne tourne pas à l'endroit qu'il faut. A 7 heures, me voici alors en périphérie Nord, se dresse devant le panneau de sortie de la ville. Épuisé, j'ai donc marché une bonne demi-heure pour rien, sans compter le retour jusqu'à l'intersection ! Je repars sur le bon chemin, je reconnais le quartier, la bibliothèque sur la Bismarckstrasse. Le petit parc, et la rue de la Citroën sont juste derrière. Et qui vois-je, marchant placide à quelques pas, dans la même direction ? Mon cher Xav ! L'expression « tomber nez-à-nez l'un sur l'autre » a dut être écrite en prophétie de cet instant...

Je le hèle, et n'ayant pas reconnu la voix il se retourne, surpris. Grands sourires, on se tape sur l'épaule, jamais nous aurions pensé nous retrouver par totale inadvertance dans une ville de 4 millions d'habitants. Le hasard de la déroute, et peut-être un esprit supérieur nous a révélé que ce voyage, c'est ensemble qu'on devait le vivre.

Xav trouve le sommeil sans difficulté. Pour moi, ce sera le début des insomnies. Des nuits, il nous reste encore à en connaître à l'intérieur du véhicule, mais c'est à peine si je parviendrai à fermer l'œil une ou deux heures à chaque fois. A 8 heures, on est installé. A 9 heures, j'allume le portable, et prépare un dernier message pour Orsi :

« Hi Orsi ! I'm back to the car. My friend is sleeping peacefully, and I'm ready for a last walk in the city ! If you are free, we can meet again. Bye. Alex »

Elle me propose un rencard pour midi. J'irai en ville à pied (le centre est à 10Km d'ici), histoire d’occuper mon temps d’ici-là.

On commande à boire, un coca, un soda, pour aller s'assoir sur un banc à l'écart. Elle me dit qu'elle ne pourra pas s'attarder car elle doit se rendre à la bibliothèque de son université. Après cette ultime entrevue, je l'accompagne donc jusqu'au bus.

Le retour jusqu'à la Citroën sera bien long. Mais mon ami se réveille juste au moment où j'atteins la place de parking. Le moteur démarre, un dernier clin d’œil à la capitale, et nous continuons la route vers le Nord.

- Schwerin

La cité nous offrira le luxe d'un lit douillet, en Auberge de Jeunesse.

L'intérêt de cette ancienne ville de la RDA se concentre dans son château, imitant le style des châteaux de la Loire. On ne manque pas de le visiter, après une nuit salutaire qui me permit de recouvrer presque toutes mes forces.

Mais avant de se rendre au Schloss, on fait connaissance avec une toute jeune étudiante française, venue se perdre dans le Nord de l'Allemagne dans le cadre d'un stage en entreprise. C'est elle qui fait le premier pas, le soir au moment du repas, en nous demandant si elle pouvait occuper un coin de notre table. Elle nous explique plus tard qu'elle réside à l'Auberge pour toute la durée du stage. Je trouve cela pas mal, de vivre ainsi quand on est isolé loin de son pays et de sa famille (surtout à son âge : elle doit avoir vers les 18 ans). Ces lieux sont propice aux rencontres, mais elle se plaint de la froideur des allemands et déplore que les seules personnes qu'elle rencontre ici ne soient que de passage, des touristes comme nous. Son attitude est étrange : elle vient déranger les deux voyageurs dans leur amicale intimité, pour ensuite s'effacer progressivement au long du repas, peut-être intimidée.

Nous voilà donc parti pour une visite de deux heures de ce beau monument du 18ème, situé sur une île. Le site est agréable, un immense jardin se déploie à l'arrière du château. Des pièces richement garnies, une en particulier attire mon attention, avec ses nombreux tableaux de la ville à différentes époques. On tombe sur deux gardiens de la cinquantaine, deux joyeux lurons nous indiquant en se marrant le sens de la visite, et nous donnent un raccourci. Ces gars-là me font penser à nous, on devine une réelle complicité entre eux. Leurs discussions sont ponctuées de rires bruyants, ils détonnent un peu dans l'atmosphère austère du lieu. Un peu plus loin, une jeune gardienne (brune, avec un style gothique) nous salut et lance un regard accrocheur à Xav. Avant de prendre la sortie, on la croise à nouveau. Et à nouveau ses yeux se portent sur mon compère. J'essaie de l'inciter à prendre les devants, à l'accoster. Mais la position de l'acteur est toujours plus délicate que celle du conseilleur : quelques paroles ne sont que du vent, elles n'ont aucune incidence. Alors qu'en allant à l'abordage, on court le risque du ridicule, et de l'échec.

Nous voilà bientôt reparti en direction de Wismar, sur une baie de la Mer Baltique (la Lubeck Bay). Wismar, qui nous a donné l'occasion d'une belle tranche de rire !

Tout d'abord, je suis déçu de ne pas voir la mer à perte de vue, sur le port, et pour cause : Wismar est situé dans un creux, un golfe étroit, et l'on se croirait davantage en bordure d'un fleuve qu'au pied de la Baltique.

La ville est agréable, mais on reste un peu sur notre faim, après ce que nous prédisait le Guide du Routard. La vieille ville est inscrite au Patrimoine de l'Unesco, mais elle manque à mon goût de personnalité, d'édifices incontournable. Je lui trouve une ressemblance avec d'autres cités portuaires d'Europe. Une petite idée d'Anvers ou d'Amsterdam... Disons une ambiance marine commune à ces trois-là.

Un petit tour par la rue marchande. Xav cherche des lunettes de soleil pas cher (il a laissé les siennes à Toulouse). Une boutique propose des bibelots à bas prix. Tandis qu'il se décide sur le choix de sa nouvelle monture, je tombe sur des perruques de supporter à 1 Euro. J'en achète une, et la pose sur ma tête dans la foulée. La coiffure noire me donne un style rasta, pas vraiment en phase avec mon air habituel de type sérieux à lunette. Je vais jusqu'au bout de mon gag, et la garderai durant toute la visite. On passe devant un groupe de jeunes, une fille s'exclame : « Scheiiiiiiiiiße ! ». Les gens, de tout âge me fixent sur mon passage, j'ai droit à un sourire ou à un regard ahuri... Je suis pour quelques heures au centre de l'attention, je bouscule un peu la tranquillité ronronnante de la cité, et cela me plait bien.

Il faut qu'on soit à Lubeck avant la tombée de la nuit, pour faire une visite sous la lumière naturelle (Brême nous attend pour le lendemain matin). D'autre part, je demande à Xav une faveur : se poser sur une plage entre Wismar et Lubeck, pour que je puisse apprécier cette satanée mer.

Mis-à-part notre rigolade dans le centre, Wismar ne nous laissera pas un souvenir impérissable. A ceci près qu'elle fait partie d'un tout, et qu'à ce titre elle aura toujours droit de cité, lorsque nous reviendrons sur notre aventure germanique...

C'est à Boltenhagen que nous connaîtrons deux petites heures durant le spectacle de la mer s'étalant jusqu'à l'horizon. Le temps est superbe, on marche sur le sable fin, les pieds goutant l'eau fraîche nouvelle. Suivant ma proposition, Xav a pris la guitare-lélé. Il joue le morceau emblématique de ce voyage : « Shaünipul » de Nosfell. Ce titre-là marquera pour longtemps ma mémoire, car mon ami l'a joué dans tous les lieux et en toute circonstance, en voiture, en visite durant les pauses, en auberge... C'est le titre-phare de ce voyage, en le ré-écoutant, combien de souvenirs me viennent en tête, combien l'envie me prend de reprendre la route ! La chanson de notre liberté temporaire, en quelques sortes... Je ne suis pas loin, je me dore au soleil, fais quelques exercices, tout en l'écoutant s'exercer sur l'instrument.

On s'attarde ici, moi qui voulais juste apercevoir la mer, on se prélasse en touristes balnéaires. Tout comme le château de Louis II de Bavière était situé au point le plus au Sud de notre parcours, celui-ci est à l'extrème opposé. Et en repartant vers Lubeck, on amorce déjà le retour, puisque désormais, on ne fera plus que redescendre, jusqu'à Nancy.

Le détour par Boltenhagen nous aura permis de longer la côte sur plusieurs dizaines de kilomètres, et de passer par de petits villages à l'écart des grands axes de circulation, ce qui nous change des perpétuelles autoroutes que nous n'avons cessé d'emprunter depuis Freiburg.

Nous atteignons Lubeck en fin d'aprèm, on se dépêche de trouver une place de parking à l'entrée de la ville, et de faire le tour du patrimoine historique tant qu'il y a du soleil. En l'espace d'une heure on découvre la vieille ville, réellement impressionnante et d'une beauté sans équivoque. Des monuments de briques rouges, de taille colossale pour certains, lui donne un cachet particulier. La cathédrale, l'hôtel de ville, et bien d'autres choses encore nous laisse pantois. Quel dommage que nous y soyons resté qu'une soirée ! La ville dans son ensemble possède un côté gothique accentué (bien plus gothique que la vigile de Schwerin), quasi envoutant.

Alors que la nuit tombe, deux jeunes Allemandes nous accostent pour nous demander la direction d'un Bar musical. Évidemment, on ne peut leur être d'une quelconque aide, mais on sympathise rapidement, et lorsqu'elles s'apprêtent à reprendre leur chemin, je leur demande tout naturellement si elles veulent bien qu'on les accompagne. Elles acquiescent.

Pour briser la glace, je leur montre mes notions d'allemand :

« Allo ! Ich heiße Alex, Ich bin Franzoce, ich komme aus Nancy ! »

Xav complète, avec je l'avoue, des phrases moins simplistes.

C'est dans un bar « branché » ou nous commencerons la soirée. J'enlève mon pull, en soulevant au passage ma chemise sans le vouloir. De jeunes filles assises à la table à côté me lancent des regards pétillant et sourient entre elles alors que je remets de l'ordre dans ma tenue.

Les deux sœurs de Cologne nous donnent la raison de leur présence à Lubeck : elles sont venues ici pour un concours de musique auquel Heide participe (elle joue de la contrebasse). D'ailleurs, elles ne tardent pas à nous proposer de continuer la soirée dans un bar Jazz où doivent se retrouver les différents participants.

Il est minuit, les deux sœurs doivent rejoindre leur hôtel, et nous notre voiture. On se rend compte que les deux sont situé dans le même secteur de la ville, nous faisons donc la route ensemble. Alors que nous passons devant une vieille caisse cabossée, non loin de la place où nous sommes garés, les deux filles s'exclament :

« Ah, mais nous pensions que c'était votre voiture ! »

« Mais pourquoi ? »

« Parce que vous êtes Français ! »

Ma fierté patriotique en prend un coup. Je rétorque que les Français ont aussi de bonnes voitures, qu'il n'y a pas qu'eux les Allemands !

Les filles nous suivent jusqu'à la place où nous sommes garés, avant de rejoindre leur hôtel proche de là. Elles prennent une mémorable photo de nous quatre, la perruque rasta sur ma tête. On se quitte à l'Allemande : en se faisant une accolade. C'est si bête d'en rester-là, le lendemain nous aurions certainement eut droit à de belles retrouvailles en ville, mais la route nous attend, encore une fois !

Il est maintenant une heure passé. Mais au lieu de prendre le volant tout de suite, je propose à Xav qu'on aille faire un dernier tour en ville, puisque cette rencontre ne nous a pas vraiment laissé le temps de poursuivre la visite comme nous l'avions prévu. On retourne donc vers le centre, en lançant un « auf Wiedersehen » plein d'entrains à nos deux amies d'un soir.

- Bremen, avant dernière étape.

Après cette marche nocturne et deux heures de conduite, je gare la citroên dans une rue résidentielle, non loin du centre. A sept heures, après à peine deux heures de sommeil, je suis déjà réveillé. Je sors faire quelques pas le long de la Weser, puis je m'en vais arpenter le quartier populaire à cinq minutes de notre lieu de chute. Je garde un aussi bon souvenir de ce quartier, que de la vieille ville, bien qu'il ne possède aucun attrait architectural. C'est simplement un endroit vivant, multiethnique, où j'ai eu le plaisir de siroter un café dans un bar coloré à l'ambiance latine.

Quand je rentre à la voiture, Xav se réveille doucement. On se prépare à notre dernier coup de cœur en s'approchant du Stadtzentrum (Heidelberg sera en quelque sorte notre Bérézina). La ville, bien que partiellement détruite en 44, conserve comme on dit, « de beaux restes », et a visiblement été reconstruite scrupuleusement. Je retiens les deux immenses places accolées l'une à l'autre, et le quartier animé en bordure de la Weiser, où avait lieu une brocante, un marché, un concert country ... autrement dit une petite fête. Le soleil en plus, et le sentiment d'être encore loin de la France concordent à nous rendre très agréable la visite.

Je tiens à faire visiter à Xav le quartier populaire. On y prend un verre, et l'on sympathise avec un très vieux monsieur et une jeune femme somptueuse qui l'accompagne. Je me souviens de ses yeux, clairs et brillants, deux micro-nébuleuses sur un visage parfait. Je crois qu'elle était Slovène.

La plus longue route sans étape nous attend désormais : il nous faudra 5 heures, et 550 km pour atteindre Heidelberg. On quitte donc le Nord, et le retour est déjà pour très bientôt... On arrive en soirée, et les deux hôtels que j'avais repéré à Nancy affichent complet. La dernière nuit se fera donc à l'intérieur de la caisse. Mais hors de question d'attendre le dimanche pour filer en ville : Heidelberg a la réputation d'être estudiantine et festive, c'est une aubaine de s'y poser un samedi en soirée, alors profitons !

Cette dernière soirée allemande fut un beau ratage, heureusement que nous sommes suffisamment resté le dimanche pour apprécier le cachet de cette cité romantique par excellence.

Déjà, Xav et moi n'étions pas en phase : il désirait un Berlin-Bis, c'est à dire à une nouvelle nuit de fête ininterrompue, tandis que j'aspirais qu'au repos.

Puis nous n'étions pas en phase avec tous ces jeunes huppés déambulant dans les rues. On s'était pas lavé depuis Schwerin, on commençait à avoir un aspect crasseux après ces 10 jours de bourlingue, on s'était fait au quotidien un peu galère, à la vie au jour-le-jour. On ne sortait pas tout frais et parfumé, les vêtements parfaitement propres et repassés. Quand nous arrivâmes dans le centre, le pack de bière à la main, et que nous vîmes cette masse de petits bourgeois nippés comme des princes modernes, je compris qu'il y avait maldonne.

Xav tenait quand-même à ce qu'on se mélange à eux, et qu'on fasse comme eux la fête jusqu'au bout de la nuit. En trois nuits, j'avais dormi à peine plus de 10 heures. Mes dernières forces s'écroulaient, il me fallait dormir, ce n’était pas un besoin, c'était un impératif ! Je lui dis que j'ai ma dose, il ne comprend pas, et je pense qu'il rêve d'une nouvelle rencontre à la Lubeck... Mais ce genre d'opportunités ne survient au mieux qu'une fois par voyage. Alors, dans un Pub irlandais vomissant de la musique de la pire qualité, on finit par se disputer.

« Je me casse d'ici, j'en peux plus ! Reste si tu veux, je rejoins la voiture ! »

« C'est bon, t'excite pas ! J'ai compris, pas la peine de t'exciter comme une puce ! »

C'est en silence que nous reprenons le chemin jusqu'à la Citroën.

Dimanche 23 mai. La fin. Mais le retour dans le centre sera plus joyeux que la veille, les quelques heures de sommeil vitales nous ont calmé, et la cité nous dévoile enfin ses beautés à la lumière du jour. Le château, déjà, dominant la ville et que nous prendrons le temps de visiter avant les adieux au pays. La rivière du Neckar et sa rive, qui nous offrira un moment appréciable de farniente. Enfin, le pont voyant défilé chaque jour son cortège de touristes : voilà pour le cliché, et la carte que j'enverrai de cette ville reprends d'ailleurs tous ces éléments. Xav rejoue de la guitare, la paix est revenue au sein de notre duo alors que l’heure du départ sonne, déjà !

On traverse à nouveau le Rhin une heure après, mais le franchissement de la frontière ne s'accompagne pas du cri de joie de l'aller... On est triste de rentrer, signe que nous avons tiré le meilleur parti de ce voyage.

Quant au bilan, je reprendrai juste un petit comparatif que nous avons établi à l'issue de chaque étape (dans le style, « si c'était, alors ce serait... ») :

  • Fribourg : fille commune, décevante une fois qu'on l'aborde
  • Engen : fille simple mais avec du charme
  • Lindau : fille superbe, sans extravagance, très attirante
  • Munich : Bourgeoise bien fringuée aux allures de mannequin
  • Nuremberg : Femme magnifique, au style un peu désuet, mystérieuse
  • Bamberg : Fille modeste, avec beaucoup d'atouts, se laisse aborder sans difficulté
  • Berlin : Femme avec des attraits, mais qui a souffert
  • Wismar : Fille plutôt jolie, mais prétentieuse
  • Schwerin : Femme maline, qui mise tout sur son atout principal
  • Lubeck : Fille un peu hautaine, à la beauté un peu austère, mais qui a une vraie classe
  • Brême : Femme aux qualités innombrables, très ouverte
  • Heidelberg : Jeune femme débordante de vitalité, qui aime être entourée de prétendants.

FIN

Pour voir le montage réalisé avec les photos prises au cours de ce voyage :

https://www.youtube.com/watch?v=WOeNxO3LDVE

Publié dans Récit de voyage

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